J’apprends et j’aime l’Espéranto

Depuis que j’ai commencé à apprendre l’Espéranto, il m’est arrivé d’en parler à des connaissances et d’avoir en fait à le définir. Je suis assez étonné de constater que cette langue, puisque donc c’en est une, n’est pas plus connue que ça. Parfois, le mot a déjà été entendu, mais ne dit que vaguement quelque chose. Pourtant, elle n’est plus toute jeune, et l’espoir qu’elle continue de susciter a été plus vigoureux en d’autres époques.
Il faut dire qu’entre temps, l’anglais s’est imposé en tant que langue internationale. Nous vivons depuis sous occupation culturelle étasunienne, qui semble à tort naturelle, notamment pour beaucoup d’occidentaux de ma génération. La langue n’a bien sûr pas été le seul moteur de cette prise de pouvoir, mais elle contribue à pérenniser une domination parmi d’autres que nous subissons et que nous avons intériorisée.
Mais je devrais commencer par le commencement, et surtout par celui de cette langue, qui a la particularité d’avoir été construite initialement par un seul homme adulte. Ce n’est ni la seule ni la première dans ce cas, mais ce n’est donc, originellement, la langue maternelle de personne. L’homme en question, Ludwik Lejzer Zamenhof*, côtoyait différentes communautés (du côté de l’actuelle Pologne) dans un monde de la fin du 19e siècle moins uniforme que celui d’aujourd’hui, et ressentait le besoin de concevoir cet outil qui permettrait à tous de communiquer sans que personne ne soit avantagé. L’idée était d’apaiser les tensions en contrariant une hiérarchie qui s’instaure de fait lorsque nous nous adressons à quelqu’un qui ne partage pas la ou les mêmes langues maternelles que la ou les nôtres.
Il s’agissait donc, pour Zamenhov, de construire un bien qui deviendrait commun. Voilà qui me parle, voilà qui parle aux libristes du logiciel, à ceux de la monnaie, aux humanistes en général. Deux choses alors. D’abord, il ne s’est pas agrippé à sa création pour qu’elle reste à son image. Il l’a mise à disposition en comprenant qu’elle devrait évoluer. Car les langues naissent, les langues meurent, et toutes évoluent, toujours à travers le collectif, qui seul en est (ou en l’occurrence en devient) le dépositaire. Aucun individu ne peut en effet se prévaloir d’être détenteur de quelque langue que ce soit dans son entièreté. Ce sont les francophones d’hier, d’aujourd’hui et de demain qui définissent le français en même temps qu’ils le pratiquent et le transforment, consciemment ou non.
Profitons-en tout de même pour réaffirmer que les langues sont des bagages culturels humains dont nous sous-estimons l’importance, tandis que nous en accordons trop à celle dont nous nous sommes imprégnés depuis toujours et qui sort de notre bouche à nous, surtout lorsqu’il n’en est qu’une. Si celle-là participe d’un sentiment d’appartenance légitime, elle conforte dans le même temps un besoin de possession malheureux. La langue est une des clés de l’identité, mais ces deux notions sont, comme les autres, poreuses et fluctuantes. Prendre mieux conscience de tout ceci, et s’attarder sur le sujet, nous permettrait d’éviter certaines manipulations tout en nous arrogeant le droit à davantage d’autonomies et de libertés.

L’espéranto se définit en regard de ces jeux d’influence : il n’a jamais eu pour vocation de remplacer les autres langues, mais plutôt de les compléter. C’est en ce sens que je lis, et à mon avis qu’il faut lire, l’aspiration à l’universalité de cette langue. On en revient ainsi au deuxième aspect capital qu’impliquait la vision de Zamenhof, à savoir que pour devenir universel, il fallait que l’espéranto puisse s’apprendre aisément et donc, qu’il soit et puisse rester simple. Dit comme ça, ça n’a peut-être l’air de rien, ou même ça ferait « petit bras », alors que c’est cet état d’esprit qui constitue une révolution. Cette simplicité est le cœur de cette langue. À travers cette simplicité et par elle, l’espéranto est un droit pour tous, à accéder à chacun et à quiconque, sans vouvoiement d’ailleurs, dans de bonnes conditions, et surtout, avec la bienveillance d’une neutralité retrouvée ou aménagée. Et la boucle est bouclée.

D’où j’en suis, je peux confirmer que son apprentissage est particulièrement agréable et enthousiasmant. Les ressources sur internet sont nombreuses et le plus souvent gratuites. Je me sers pour ma part principalement de DuoLingo, que j’évoquais dans un article précédent, même si j’en passe dans ce cas par l’anglais (sic)… Vous pouvez d’ailleurs lire un intéressant entretien avec l’initiateur du cours disponible sur cette plateforme depuis le site de l’association Espéranto-France.
Il me faut aussi citer Lernu.net, qui complète très bien DuoLingo, et Ikurso, que je n’ai pas encore testé. Je n’ai pas testé non plus, faute de matériel compatible, l’application Amikumu. J’ai par contre apprécié commencer d’écouter Lernu kun Logano, cette émission d’un père qui enseigne l’espéranto à son fils. Youtube regorge bien sûr de vidéos sur le sujet, y compris en français, dont celle-ci, présentant l’alphabet et filmée (si l’on peut dire) dans l’univers de Minecraft, ou celle-là, qui fait le tour de la conjugaison en 5 minutes.
Un dictionnaire, vortaro.net, est disponible, ainsi qu’un traducteur vers et depuis le français et l’anglais. Wikipédia compte 261 808 323 112 articles en espéranto à date. Et notez pour finir que des rencontres sont organisées tous les premiers vendredis du mois à 20h00 par l’association Espéranto Paris (au 58 boulevard Saint-Jacques, dans le 14e). Avec ça, vous voilà déjà bien équipés si vous souhaitez, comme moi, vous lancer, ce que je ne saurais trop vous recommander (d’autant que l’Europe y gagnerait – 25 milliards d’euros par an, paraît-il).
* Non loin de là, dans l’espace comme dans le temps, naissait une certaine Maria Sklodowska, devenue Marie Curie – Marie et Bronia, le pacte des sœurs, m’a beaucoup plu sur le sujet –, elle-même intéressée par les travaux contemporains de Maria Montessori…