Éducation

Les Intelligences multiples, par Howard Gardner

C’est en me renseignant plus avant sur le concept des intelligences multiples, dans le cadre de mes travaux pédagogiques entre 2014 et 2019, que j’étais tombé sur la vidéo qui suit. Howard Gardner y présente, en anglais, la théorie dont il est l’auteur. Je l’avais trouvée passionnante et en avais gardé des notes exhaustives (je crois), qui font aujourd’hui l’objet d’une publication (en français, du coup). Je vous recommande chaudement d’en parcourir les lignes, car c’est un sujet clé, brillamment abordé.

https://www.youtube.com/watch?v=8N2pnYne0ZA
Harvard – Project Zero
thegoodproject.org

Table des matières

Méthode d’acquisition de la théorie

  • Basée sur l’évolution, des espèces, et du cerveau, son organisation.
  • Étude de populations atypiques : prodiges, autistes, profils cognitifs irréguliers/hétérogènes : « jagged cognitive profiles », très bon dans un domaine et très mauvais dans un autre domaine.
  • Reconnaissance et étude des rôles clés et prisés dans différentes cultures, régions, époques (pas simplement de ce que c’est d’être classé comme bon dans une école occidentale).
  • Exploitant différentes disciplines : biologie, anthropologie, génétique, (pré)histoire desquelles il a tiré 8 critères, cf Frames of intelligence

Définition de l’intelligence

is the bio-psychological potential to process information in certain ways, in order to solve problems ot fashion product (make something) that are valued in a culture or community.

Tentative de traduction :
L’intelligence est le potentiel bio-psychologique permettant de traiter l’information d'une manière ou d'une autre afin de résoudre des problèmes ou de produire des objets, services ou concepts considérés comme utiles ou précieux.

Tentative de simplification :
L’intelligence est la possibilité d’utiliser ses capacités pour traiter ce que l’on a perçu avant d’en faire quelque chose.

Extrapolations personnelles :
Autrement dit, la phase à la fois physique et temporelle se situant entre des capacités physiques et l’action qu’autorisent ces capacités.
Autrement dit encore : l’intelligence est l’articulation entre la perception et l’action

Elle permet aussi d’orienter et de mobiliser ses moyens de perception (ses sens, son attention, sa concentration) afin de percevoir ce qui ne l’était pas ou de mieux percevoir ce qui l’était déjà, dans le but d’étayer l’analyse puis de (se) justifier l’action (ou l’inaction).

Ça, ce serait plutôt la conscience… (de sa propre intelligence, de ses capacités, laquelle conscience dépendrait donc nécessairement de l’intelligence).

¹ cette articulation entre la perception et l’action est d’abord inconsciente chez le jeune humain et devient, par l’instruction ou a minima le modèle des paires, consciente et gérable.

Question : si nous ne sommes d’abord (personnellement et historiquement) que mimétisme… À quel moment et surtout de quel fait sommes-nous sortis de ce mimétisme ? Autrement dit, quand mais surtout comment sommes-nous passés de l’intelligence à la conscience ?

Hypothèse : si ça se fait ~naturellement~ chez l’enfant, c’est que ce n’est pas si dissociable que ça… Comme le passage du bourgeon à la fleur puis au fruit… Les étapes d’un même objectif… D’un même objet.

Intelligences multiples, la liste

  1. Langagière (« linguistic »)
  2. Logique et mathématique
    ce sont les deux que testent le QI, les deux qui prédominent à l’école et qui ne servent plus à grand-chose une fois seul dans la jungle ou la forêt
  3. Musicale
  4. Spatiale
  5. Corporelle, manuelle et « kinesthésique »
  6. Interpersonelle
  7. Intrapersonnelle
  8. Naturaliste

Il en envisage d’autres, mais pour lesquelles il n’a pas de données :

  1. Existentielle : qui sommes-nous, pourquoi mourrons-nous, qu’est-ce que l’amour, qu’est-ce que le courage ?… elle complète intra(moi), inter(autres), avec le tout (ex)
    il estime que c’est la seule dont ne disposerait que l’être humain
  2. Pédagogique /de transmission : celle qui permet d’enseigner, de transmettre ; certains sont capables de le faire bien, d’autres non, et un enfant de 4 ans transmettra différemment un savoir à un enfant de 3 ans et à un enfant de 4 ans, il enseigne déjà.

Le nombre importe moins que le fait de briser cette notion d’une intelligence unique, héréditaire.

Déclarations scientifiques

  1. Nous avons tous l’ensemble de ces intelligences.
    Leur combinaison fait de nous des êtres humains (d’autres espèces auraient un autre ensemble, tout en étant meilleures dans des domaines et moins bonnes dans d’autres).

  2. Il n’y a pas deux personnes sur la planète qui ont deux profils d’intelligence identiques (pas même les jumeaux ou des clones).

Déclarations quant à l’éducation

Nous devrions individualiser l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation autant que possible.

« Pluralize » : Multiplier et Diversifier : d’abord, et parce qu’une seule personne ne peut pas tout enseigner, il faut décider de ce qui est vraiment important, puis le présenter de plusieurs manières. Ne pas seulement en parler, ne pas seulement le montrer.

Les intelligences multiples n’ont pas pour finalité l’éducation. L’idée serait plutôt d’établir les buts de telle éducation, de savoir ce vers quoi elle tente de mener, où elle va, et alors d’étudier en quoi les intelligences multiples peuvent aider à atteindre ces objectifs.

Quelques objectifs de l’éducation

  • comprendre une discipline
  • tendre vers une société démocratique
  • devenir compétitif sur le plan économique
  • développer la créativité
  • développer l’esprit critique
  • devenir utile au collectif
  • obtenir de bons scores à tel test ou à tel autre

Il n’est pas légitime de déduire une attitude pédagogique à partir de découvertes scientifiques.
Parce que les découvertes scientifiques, y compris celles concernant le cerveau, et notamment les intelligences multiples, sous-tendent un volume de ramifications beaucoup trop important /ont des implications beaucoup trop nombreuses.
N’importe quelle recommandation pédagogique correspond à un système de valeurs, à une culture (un système culturel?).

Par exemple, les intelligences multiples peuvent mener à rassembler les personnes qui ont des points forts similaires, ou au contraire pousser à mêler ceux qui ont des intelligences complémentaires ; peuvent pousser à enseigner selon huit champs d’activité, huit disciplines, ou peut-être à estimer qu’il faut enseigner tous les sujets de 8 manières…

Donc, il est intéressant de savoir comment le cerveau fonctionne, et de suivre les découvertes et avancées scientifiques, mais il n’est pas légitime de se servir d’elles pour dire : « voilà comment éduquer » ou « il faut changer ceci parce qu’on a découvert cela sur le cerveau ».

Chercher à développer telle partie du cerveau sous prétexte qu’elle est associée à telle activité ou intelligence, ou qu’elle en serait le siège, est absurde.

« Points d’entrée »

Si vous décidez que quelque chose est important, vous pouvez l’approcher de plein de manières différentes.

Transmettre (par exemple à l’aide de photos et de texte-s), puis demander de retransmettre différemment :

  • raconter une histoire
  • écrire ou chanter une chanson
  • jouer (théâtre) un moment clé (en l’occurrence lors d’une expédition/exploration)
  • tracer sur une carte (en l’occurrence le trajet de ces explorateurs)
  • qu’est-ce que l’explorateur aurait dessiné → là encore, se mettre dans la peau de la personne dont on essaye d’apprendre le parcours ou les découvertes, cette fois en voyant à travers ses yeux
  • quels nombres importants ? année, âge, nombre de soldats ou d’un autre élément important au sujet : 3 bateaux pour Christophe Colomb
  • recréer le moment et les enjeux de la période : pourquoi le faire, en quoi l’avoir fait a apporté quelque chose…

Situer et permettre de comprendre selon 3 critères clés (il parle aussi de « dimensions » :

  • sincérité : qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui ne l’est pas (vrai/faux)
  • beauté : qu’est-ce qui est beau, qu’est-ce qui ne l’est pas (beau/moche)
  • bonté : qu’est-ce qui est bon, qu’est-ce qui ne l’est pas (bon/mauvais)

Note personnelle :
On a là certains critères relatifs, qui permettent de guider en dehors du manichéisme, et de tendre vers l’acceptation du fait que le monde est complexe.

Ce sont des questions qui mènent à des réponses subjectives, et permettent donc de se situer personnellement par rapport à un savoir.

Ces critères permettent d’agrémenter la mémoire « conceptuelle/déclarative » afin de mieux cerner, par rapport à d’autres faits, d’autres œuvres, d’autres attitudes, d’autres points de vue.

Prenons trois cas :

  1. Théorie de l’évolution /Darwin [vérité]
  2. Mariage de Figaro et musique de /Mozart [beauté]
  3. Holocauste /Hitler [bonté] (en l’occurrence méchanceté bien sûr : « evil », diabolique ; mais qui doivent à ce propos permettre de mettre en relief les actions positives et courageuses qui se sont développées en contradiction).

Six « points d’entrée » pour chacun :

  1. narratif
  2. quantitatif-logique
  3. existentiel
  4. esthétique
  5. manuel (jouer, répliquer, fabriquer)
  6. intepersonnel (discussions, débats, blagues)

Ce sont ces points qui comptent dans cette démonstration, et ils engendrent deux choses :

  1. Atteindre davantage d’apprenants ; puisqu’ils sont différents…
  2. qui comprennent mieux (parce qu’être capable d’expliquer de différentes manières ou selon différents points de vue est la preuve d’une bonne compréhension, à l’inverse de la simplification). Voir l’identité de chacun, qui s’élabore à partir de celle familiale, intime, amoureuse, scolaire puis professionnelle…

Ces « points d’entrée », ces accès, n’avaient pas besoin de la théorie des intelligences multiples pour émerger (en témoignent les travaux de Maria Montessori, qui a beaucoup cherché sur les moyens mais aussi sur les moments de transmettre le mieux possible et le plus possible), mais cette théorie permet de réfléchir et d’élaborer ou d’étoffer ces accès.

Évaluer ou plutôt jauger les intelligences

On ne parle pas ici du test du QI.

Il faut procurer un environnement riche, de jeux, d’objets d’interaction, puis observer, et prendre note.

Notes personnelles :

Prendre du temps pour observer simplement, avant d’enseigner, ou entre les enseignements ; combien de profs ont ou prennent le temps d’observer leurs élèves ?

Ce parc dannois façon Cité des Sciences semble intéressant lui aussi…

Versatilité du cerveau humain

Les intelligences se repartissent dans le cerveau, et s’il n’y a plus que la moitié d’un cerveau, elles se répartiront dans cette moitié.

Le cas de cet enfant autiste qui a trouvé dans les exagérations des films de Disney une porte d’entrée aux émotions qu’il ne pouvait pas lire dans les interactions d’un monde qu’on dira normal, avec toutes les pincettes de rigueur.
Le peu qui m’est transmis de ce cas m’interroge beaucoup, car j’ai à l’inverse toujours trouvé cette manipulation et cette simplification des émotions particulièrement repoussantes…

L’intelligence est fondamentalement/intrinsèquement amorale ‑ pas immorale ‑, et peut, comme n’importe quel autre outil, servir positivement ou négativement.

« Le bon travailleur »

  • sait ce qu’il fait : excelle techniquement
  • apprécie ce qu’il fait : son travail, ou plutôt donc son activité, son occupation est importante, a du sens pour lui, l’engage
  • respecte une éthique : agit positivement

Un bon prof ?

  • sait ce qu’il raconte, ce qu’il fait, se tient à jour : il maîtrise son sujet
  • il aime ce qu’il fait, transmettre reste important pour lui
  • quant à l’éthique, ce n’est pas si évident qu’on pourrait le croire : dilemmes éthiques inévitables et manière de les gérer importe (privilégier un apprenant dans le besoin aux dépens des autres ? d’autres exemples sont donnés mais je ne les trouve pas très pertinents, mais rien que celui-ci est une préoccupation constante…)

Représentés par un ruban façon ADN avec les 3 « e » d’excellence, d’engagement, et d’éthique.
→ L ’objectif n’est pas de transmettre seulement un savoir, mais plutôt, effectivement, de transmettre cette excellence, cet engagement et cette éthique : que cet « ENA » incorpore leur « DNA », que ces trois ~valeurs~ leur deviennent naturelles.

Il entre beaucoup dans la morale sur cette fin de présentation, mais ce qui importe, à nouveau, est que l’intelligence, ou les intelligences, ne suffisent pas, et que c’est la manière dont elles sont utilisées qui fait la différence ; Or c’est probablement cet apport de sens, cet apport quant à ce qu’implique d’être instruit, qui fera la différence au moment de l’enseignement…

Points clés

  • limites de la vision standard et scolaire de l’intelligence
  • méthodologie de la recherche (variété des disciplines, échelles temporelles, géographiques, culturelles
  • la théorie des intelligences multiples en elle-même
  • ce qui découle d’elle en termes d’éducation et d’enseignement : déterminer les objectifs, et tirer des recherches et des avancées les outils et les moyens de tendre vers ces objectifs (tester, échouer, recommencer, améliorer…)
  • la nécessité de revoir ou de faire évoluer l’évaluation (de cette intelligence en l’occurrence) : observer l’enfant dans un environnement riche et qui justement la provoque, cette intelligence, ou du moins l’interpelle ; quant à l’adulte…
  • la notion d’individualisation de l’enseignement (apprendre mais aussi montrer ce qu’on a appris d’une manière adaptée à l’individu)
  • la notion de diversification ou de démultiplication (des moyens) de l’enseignement [pluralize]
  • les points d’accès vers cette intelligence [entry points]
  • la plasticité cérébrale (l’adaptabilité du cerveau, le fait qu’il ne cesse d’évoluer, de se reformer)
  • l’intelligence à quelle fin ? l’importance d’intégrer l’éthique à toutes ces questions

L’intelligence associée à de la personnalité/du caractère, voilà la marque d’une véritable éducation.

Martin Luther King Jr

C’est à travers la personnalité que s’exprime l’intelligence.

Mais encore

Chaque élève a donc sa propre forme d’intelligence et le plus difficile est donc de le faire travailler dans sa particularité, tout en l’aidant à développer les intelligences qu’il utilise moins. En lisant Howard Gardner, la mission du pédagogue apparaît sous un nouveau jour. Comme il l’explique dans un entretien des Cahiers Pédagogiques de 2005, « […] toute intelligence peut être développée, si on y travaille. À l’inverse, si on arrête de regarder par exemple les chiffres, on n’a aucune chance de devenir meilleur dans ce domaine-là. La différence, c’est que dans certains domaines, un tout petit effort vous emmènera assez loin, tandis que dans d’autres domaines, il vous faut travailler très dur pour un tout petit progrès. » Chacun est donc capable de travailler chacune de ses intelligences. Encore faut-il qu’on lui en donne le moyen…

http://www.lepetitjournaldesprofs.com/blog/2014/10/06/des-intelligences-multiples/

→ concrètement, il serait bon de permettre à l’élève de travailler les deux (points forts et points faibles) dans la même journée, afin que la satisfaction compense l’éventuelle frustration, et si possible l’emporte…