Philosophie

Les Quatres accords toltèques #02

Survive, par Shelby L Bell, sous Creative Commons BY

Ces accords toltèques m’interpellent ; me décalent. Je dois faire preuve d’attention et de concentration – je dois être prêt à me remettre en question – pour les parcourir.
Pour cette deuxième phase de lecture, pas d’extraits, mais mes mots à moi, ma reformulation, mon interprétation, mon extrapolation.

Première partie ici.

Survivre, et le permettre

People, par Adrian Hu, sous Creative Commons BY-NC-ND

Nous sommes déjà les automates qu’on a peur de devenir ou de créer. Ou plutôt sommes-nous domestiqués. Par nos pairs, dès la naissance. Nous nous appliquons à éteindre le feu sauvage qui tempête en l’autre, le feu de vie. Il ne faudrait pas que son étincelle ravive notre propre feu. Ne pas déborder. Que ce petit d’homme ne déborde pas trop, qu’il nous laisse dans notre confort de morts, qu’il ne dérange pas la société, qui par rebond m’en voudra, me jugera plus encore, me punira pour de bon et lui avec.

Comment ne pas faire le lien entre cette aseptisation, ces chaînes, et la destruction du réel. À défaut de nous détruire les uns les autres dans une sauvagerie primaire, nous détruisons par ailleurs ; nous nous faisons du mal, certes, à nous-même et aux autres, mais surtout nous blessons ce réel dont notre identité croit au fond qu’il nous blesse d’abord, alors que ce sont nos pairs qui, par le jugement constant, d’eux-mêmes et d’autrui, par le fait qu’ils s’expriment constamment aussi, nous blessent.
Le réel est dangereux, mais la sécurité de la norme et de ses règles est vectrice d’une mort prématurée. Une mort préméditée, prévue, relayée, dans l’étouffement de notre aspiration sauvage d’animal au plus jeune âge.
La sagesse n’est pas plus dans la norme et l’auto-jugement permanent qu’elle n’est dans l’absence de repères et l’éruption perpétuelle du soi. Elle se trouverait dans le rapport au vivant, dans l’entretien de celui-ci, dans l’entretien de son débordement, dans la tolérance de son débordement, dans le fait de reléguer au passé, notamment les rancœurs, afin de pouvoir s’en remettre au futur et aux possibles, dans un remodelage constant dont on participe, tant par l’action que par le fait qu’on est et qu’on sera de nouveau. Chacun de nous est soi. Ce moi est pérenne. Toute personne lisant ceci est elle-même et seulement cela. Ça ne changera pas dans le futur. On ne disparaîtra pas, ni individuellement, ni collectivement. Je serai toujours celui qui écrit, ainsi que je suis celui qui lit – ces mots dans ton esprit ; dans mon esprit ; en sont la preuve –. L’égrainage du temps nous a fait poindre, et nous sommes part du réel comme le reste : le feu du vivant nous anime évidemment ; impossible de l’éteindre, par nous-mêmes, ou par la destruction du réel qui d’après nos interprétations le sous-tendrait, alors que c’est probablement l’inverse. Ce feu, cette puissance visiblement colossale qui nous anime et qui anime le reste du vivant nous précède de tant, de tellement de milliards d’années, depuis sa racine dans la lumière et le mouvement sûrement, qu’il faut une incommensurable prétention pour croire qu’on en est l’aboutissement, le seul reflet, qu’on en serait les gardiens ou qu’on serait capable de l’anéantir.
À fouiller le passé et lire le futur, on ne fait qu’ajouter de l’interprétation aux interprétations. On ne fait que modeler cette interprétation vaguement commune, ce rêve commun de l’être humain, fait comme il est.
Il n’y a peut-être de sagesse véritable que dans l’autonomie de soi dans un présent sans urgence, qui déborde par essence et certes nous emporte. Laisser aux fruits du potentiel les variations de soi. Laisser aux variations sonores du réel, à la déformation des flux qui nous traversent et nous étendent, les alternatives autant que les désirs. Le battement de notre cœur, le sourire de notre souffle, et in fine l’évidence de notre corps, suffisent ;
Du moins suffiraient-ils sans l’oppression d’autrui ; suffisent-ils en théorie. Ils sont un idéal à portée de main ; source auprès de laquelle se désaltérer ; y penser ; y agir ; le réel est en nous, en contre-jour des interprétations, de nos impressions, de nos intellections ; l’évidence ne peut être accaparée ; mais l’oppression est, de même qu’aucune liberté réelle n’existe. Nous avons besoin. Qu’on nous aide peut-être, parfois, et tant mieux, mais avant tout qu’on nous laisse tranquille, qu’on nous accorde la paix ; et à défaut, de nous l’octroyer.
Nous nous devons, sinon quoi que ce soit, de pourfendre toute domination de l’être humain sur l’être humain. Les exigences du vivant se suffisent bien.
Survivre, et le permettre.
En deux mots, tout ce qui précède en deux mots : survivre, et le permettre.